Ibrahima SARR, candidat indépendant : ‘Ma candidature est celle des opprimés’
Il est candidat indépendant à la présidentielle mauritanienne de demain. Son ambition : corriger l’injustice subie par les ‘opprimés’ de la Mauritanie afin de recoller le tissu social mauritanie. Seul gage, selon lui, de sortir le pays du mal qui le gangrène. Ibrahima Sarr est journaliste de formation, radié de la radio mauritanienne en 1986, avant d’être fait prisonnier pendant quatre ans. Entretien.
Wal Fadjri : Qui êtes-vous ?
Ibrahima Moktar Sarr : Je suis né en 1949. Je suis journaliste de formation et j’ai fait mes études au Cesti (Sénégal), J’ai exercé dans la presse jusqu’en 1986, date de mon arrestation. J'ai dirigé le programme des informations à la radio et à la télévision mauritanienne en 1983. J’ai eu, avant cela, une formation d’instituteur et j’ai travaillé dans les assurances. Sur le plan politique, c’est vers les années 70 que j’ai commencé mon militantisme au niveau du Parti mauritanien du travail. Par la suite, nous avons créé un mouvement qui avait pour objectif de lutter pour la solution de la question nationale. En 1983, certaines organisations se sont retrouvées pour créer les Flam. J’en étais le chargé de la communication et c’est à cause du manifeste que nous avions publié, en 1986, que nous avons été arrêtés. Nous avons purgé quatre ans de geôle à Nouakchott, Ayoun et Walata. Des camarades y ont trouvé la mort.
Wal Fadjri : A quel niveau se situent vos divergences avec vos camarades de l’Alliance populaire progressiste (App) que vous avez quittée pour créer le Mouvement pour la réconciliation nationale ?
Ibrahima Moktar Sarr : J’estimais que les militaires qui avaient pris le pouvoir n’étaient pas tellement loin de Taya et que la garantie véritable qu’ils pouvaient nous donner pour manifester leur volonté de changer, c’était de rompre avec l’ancien système et de commencer à faire les réparations. Ce qu’ils n’ont pas voulu faire. Ils ont conservé, pratiquement, le même appareil que Taya avait, ils n’ont pas voulu faire un gouvernement d’union nationale avec l’opposition véritable que l’on appelle radicale, ni amorcer un début de solution par rapport au passif, notamment le retour des déportés… Ils ont voulu que ce soit le prochain gouvernement qui va s’en occuper. Je voulais que mon parti ne lui apporte aucun soutien.
Wal Fadjri : Et quel est le sens de votre candidature ?
Ibrahima Moktar Sarr : J’ai accepté d’être candidat parce que des amis me l’ont demandé, estimant que j’étais le mieux placé pour faire passer un message, celui des déshérités, des opprimés et des exclus de cette société. Quand je l’ai accepté, je l’ai fait totalement. J’ai voulu, à partir du Mouvement pour la réconcialition nationale, mettre l’accent sur l’unité de la Mauritanie. C’est l’essentiel. Tous les programmes que l’on peut mettre sur table sont importants mais, l’essentiel, le plus fondamental, c’est de racoler cette cassure qui a été faite par les régimes précédents, principalement par le régime de Taya. La Mauritanie est divisée aujourd’hui. Les gens vivent ensemble, mais ne se regardent même pas, ne mangent pas ensemble, ne se marient pas entre eux. Même dans les mosquées, on ne prie pratiquement pas ensemble. C’est très grave ! On ne peut pas faire une Mauritanie sur cette base. Quel que soit le programme le plus élaboré que l’on voudra mettre en place, cela ne tiendra pas parce qu’il y a une cassure profonde au niveau du pays et des composantes nationales. Et la tâche essentielle, c’est de recoller ces morceaux et faire en sorte que les Mauritaniens se réconcilient. Mais, ils ne peuvent se réconcilier que si on apaise les cœurs et les esprits. L’apaisement des cœurs et des esprits passe par le rétablissement de certains droits. Il faut réparer les préjudices subis. Parmi lesquels, les déportés qui doivent revenir dans le pays, les Maures qui étaient au Sénégal qui ont perdu leurs maisons et boutiques du fait des évènements. Jusqu’à présent, aucune action n’est engagée entre les gouvernements sénégalais et mauritanien pour cela. Il y a les veuves qui sont là et dont les maris ont été tués et l’on ne sait même pas dans quelles conditions. Elles sont là et attendent. Il y a aussi ceux qui ont été déflatés parce qu’accusés à tort d’être des Sénégalais. Ils doivent reprendre leur boulot. Il y a aussi les militaires qui ont été libérés de l’armée d’office parce qu’ils sont noirs. Ils doivent reprendre leur travail et être indemnisés, s’ils ne veulent pas réintégrer l’armée. Il y a des maisons, des terres qui ont été confisquées, des papiers d’état civil perdus. Cela doit être réparé ! Une fois ces réparations faites, les Mauritaniens devront se mettre à table pour définir les conditions qui leur permettront de vivre véritablement ensemble.
Wal Fadjri : Et cette vie en commun passe par quoi ?
Ibrahima Moktar Sarr : De mon point de vue, cela passe par les points suivants. Il faudrait au départ définir de manière consensuelle l’identité de la Mauritanie. Il faudrait que l’on se mette d’accord sur ce qu’est la Mauritanie. Est-ce un pays seulement arabe ? Seulement Pular ? Seulement Soninké ou seulement Ouolof ? Ou tout cela à la fois ? Nous devrions nous mettre d’accord là-dessus et le consigner dans la Constitution. La Mauritanie est un pays à la fois arabe, négro-africain et toutes les composantes nationales se valent. Cela devra donner des résultats sur le niveau culturel. Les quatre langues nationales doivent être déclarées égales et toutes officialisées. Au même titre que l’arabe, le pulaar, ouolof et le soninké doivent avoir droit de cité dans l’administration, à l’école, à l’Assemblée nationale… Il faut aussi qu’il y ait un partage du pouvoir politique. En Mauritanie, il y a quatre nationalités. Chacune d’elles doit se retrouver au pouvoir. Si un Halpulaar est président, le Premier ministre doit être Maure, le président l’Assemblée devra être un Soninké et au Sénat, on aura un Ouolof. L’économie doit aussi être partagée. Il ne faudrait pas qu'elle soit accaparée par une minorité. On devra aussi se mettre d’accord sur la séparation des pouvoirs en Mauritanie. Que chaque pouvoir joue son rôle et que le pouvoir du Premier ministre soit renforcé pour qu’il soit responsable devant l’Assemblée nationale. C’est quand tout cela est fait qu’il sera possible d’aller vers la réconciliation. Ce qui exige une demande de pardon de la part de l’Autorité, c’est-à-dire le chef de l’Etat qui doit s’adresser à la Nation, à la communauté négro-africaine pour demander pardon pour les préjugés subis. Il reste qu’il n'y a que les ayants droit qui peuvent pardonner. Aucune loi d’amnistie ne peut éponger une faute, un crime. Mais, nous pensons qu’avec notre religion, notre volonté d’aller vers la concorde, les gens seront prêts à pardonner. Je travaillerai dans ce sens.
Wal Fadjri : Durant votre campagne, vous êtes-vous rendu chez des Maures blancs ?
Ibrahima Moktar Sarr : J’ai fait mieux que cela. J’ai ouvert ma campagne à l’est, à Kiffa, dans le fief des maures blancs. Il s’est agi pour moi de marquer le coup en m’adressant aux Maures blancs. Personne ne m’attendait là-bas. J’ai été agréablement surpris que des Maures blancs d’Atar et d’Akjoujt me manifestent spontanément leur soutien. Il y a un espoir dans ce sens. Ce sont les pouvoirs qui divisent les gens, mais les populations sont prêtes à se donner la main.
Wal Fadjri : Au-delà de ce souci de recoller le tissu social, la question de la bonne gouvernance est un problème en Mauritanie. Comment comptez-vous la régler ?
Ibrahima Moktar Sarr : Je ne dirai pas que tous les problèmes sont liés à la question nationale, mais elle est essentielle. Je suis sûr et certain que si l’on règle cette question essentielle de cohabitation et que l’on fasse un effort dans la mise sur pied d’un Etat de droit, les choses iront d’elles-mêmes parce que l’homme ne sera plus considéré en fonction de son ethnie ni de son pouvoir, mais en fonction de ses capacités intrinsèques. A partir de là, on ira vers une très bonne gouvernance, car, les compétences seront mises en exergue et le principe de la récompense et de la sanction sera appliqué de manière juste. La Mauritanie est un pays très riche avec une population très faible.
Wal Fadjri : Vous parliez des candidats qui ont le même discours que vous…
Ibrahima Moktar Sarr : Tous ceux qui étaient membres de l’ancienne opposition radicale, ont, à peu près, le même discours. Sur les questions essentielles, nous ne sommes pas très loin, mais il y a des nuances. Moi, j’apporte une touche particulière parce que j’étais une victime. J’ai fait quatre ans de prison et je garde jusqu’à présent le traces des chaînes sur mes pieds. On m’a radié de radio Mauritanie depuis 1986. Donc, je suis bien partagé quand je parle de pardon, de réconciliation nationale. Je n’ai aucune haine dans mon cœur parce qu, je sais que ce n’est pas mon frère, l’Arabe, qui en est la cause, mais des politiques appliquées.
Wal Fadjri : Vous semblez dire que vous êtes le candidat des opprimés, esentiellement composés de Négro-Africains. Est-ce à dire que vous allez vous appuyer sur l’électorat noir ?
Ibrahima Moktar Sarr : Quand je dis que je suis le candidat des opprimés, cela veut dire qu’il y a, ici, des barons négro-africains qui se croient au-dessus des problèmes et très à l’aise dans ce qu’ils font et soutiennent d’autres candidatures. Ces gens ne vont pas voter pour moi. Candidat des opprimés c’est par rapport à ceux qui se sentent exclus, brimés dans leur chair et leur âme. Ces gens aussi existent chez les Maures blancs. Il y en a qui sont exclus du jeu politique. Il y a aussi des Haratines. Et je dis que ce n’est pas un hasard s’il y a des Maures blancs qui me soutiennent publiquement. Ils savent que mon discours a toujours été suivi à l’Assemblée nationale. Je me suis toujours opposé à Taya pendant tout son règne, avant la prison et après la prison.
Propos recueillis par Elh S. N. DIA